CES ENTREPRISES QUI OFFRENT DES VACANCES ILLIMITÉES À LEURS SALARIES.
Dernière mise à jour : 30 juil. 2019

Les start-up sont à l’origine de 57% des offres d’emploi qui proposent des vacances illimitées, selon l’étude de Joblift réalisée en 2018, en France.
En France, de plus en plus d’entreprises proposent à leurs salariés des "vacances illimitées". Un concept supposé donner plus de libertés aux employés, source d’épanouissement au travail. Mais, qui présente aussi des effets pervers. Explications.
Kevin est Growth Manager chez Alan, une start-up parisienne lancée en 2016. L'entreprise qui compte plus d'une centaine de salariés, a mis au point une assurance santé en ligne pour les entreprises et les travailleurs indépendants. Chaque jour, le trentenaire se lève, se rend au travail aux alentours de 9h30, déjeune, travaille et quitte les locaux de son entreprise entre 18h30 et 19h30. C'est un salarié comme les autres... à une exception près: il a droit à des "vacances illimitées".
"Cette année, je ne sais pas combien de jours j’ai pris. Je n’ai pas à compter" explique-t-il, l’esprit tranquille. Chez Alan, la culture d’entreprise repose sur l’autonomisation des salariés (et des stagiaires), et cela, depuis sa création. "Pour les jeunes parents, c’est un soulagement de pouvoir disposer de son temps. S’il y a une urgence, si le petit est malade, on peut gérer la situation. Et on ne se dit pas: 'si je prends ce temps, je perds une journée de vacances'", observe le jeune homme pas encore papa, qui n’a pas hésité à prendre une demi-journée pour visiter un appartement ou se rendre à un rendez-vous chez un courtier.
Une opportunité qui est offerte à tous les salariés, même en période d’essai (qui dure cinq mois chez Alan). En bref, tout le monde est placé sur un pied d’égalité et tous bénéficient des mêmes avantages et conditions de travail.
Outil de fidélisation
Cette politique de "vacances illimitées" est largement inspirée des géants de la Silicon Valley -Netflix, General Electric ou encore Buffer- qui voulaient inciter leurs salariés à prendre des jours de repos. Car aux États-Unis, les salariés n’osent pas partir en vacances, et se limitent souvent à une dizaine de jours par an. D’autant que dans la loi, rien n'oblige les entreprises américaines à proposer des congés payés.
En France, le droit du travail impose déjà cinq semaines de congés payés, donc le raisonnement est tout autre pour les entreprises qui adoptent le dispositif (exemple: Popchef ou le groupe immobilier Avinim). Le concept de “vacances illimitées” y est confidentiel bien que particulièrement populaire dans l'univers des start-up, qui sont à l’origine de 57% des offres d’emploi, selon une étude Joblift réalisée en 2018. Les entreprises qui adoptent le concept le font non pas tant pour encourager leurs recrues à prendre des congés mais davantage pour répondre à leurs attentes en matière de qualité de vie au travail tout en soignant sa marque employeur. Le dispositif s'inscrit d'ailleurs généralement dans le cadre d'une politique RH plus large de flexibilité horaire et organisationnelle. Chez Alan, Kevin est par exemple libre d'organiser ses journées comme il l'entend, commencer plus tôt, prendre une pause-déjeuner de quelques heures, finir plus tard, ou même télé-travailler.
"Ce système a amélioré l’équilibre vie pro-vie perso de tout le monde", assure de son côté Charles, Senior Sales Director chez le moteur de recherche d'emploi Indeed France. Pour les employeurs, cet avantage sert en effet aussi à retenir les hauts potentiels, à les fidéliser car "un talent qui quitte une entreprise, cela représente un coût qui s’élève à des dizaines de milliers d’euros" résume l'étude de Joblift sur le sujet.
Organisation souple
Concrètement, si un salarié décide de partir en vacances, il le fait "en bonne intelligence". La personne prévient ses collègues pour qu’ils s’organisent, et éviter de les mettre en difficulté. Nul besoin de demander l’autorisation de son manager ou du responsable RH: les employés ne sont pas là pour rendre des comptes. C’est une décision qui se prend surtout au niveau de l’équipe de travail. On peut partir en vacances sans délai de prévenance. Prévenir ses collègues semble suffire.
Chez Alan, on prend en moyenne entre 25 et 45 jours par an. La grande majorité prend cinq jours de plus que les cinq semaines habituelles, ce qui n’est pas très éloigné de la moyenne des Français (33 jours environ, soit plus de 6 semaines de congés, RTT comprises). Et autre particularité chez Alan, “nous avons également allongé le congé maternité de 16 à 20 semaines, et le congé paternité de 11 jours à 5 semaines”, informe Emmanuel porte-parole de Alan.
Chez Indeed, moteur de recherche d'emploi américain présent dans une cinquantaine de pays et qui propose également des congés illimités, l'organisation est légèrement différente. Le salarié s’entretient avec son manager, responsable de la décision. Ce dernier lui accorde ses congés s'ils n'ont pas d’incidence sur l’activité de l’entreprise et si tout le monde ne part pas en même temps. Peu importe l’ancienneté du salarié, celui-ci peut dépasser le quota légal de congés payés et de RTT. En moyenne, les salariés de Indeed France prennent sept jours de congés de plus que les congés légaux. Aux Etats-Unis, "un an après la mise en place des congés illimités, les salariés prenaient en moyenne 30% de congés en plus de leurs jours légaux", selon les chiffres donnés par Indeed France.
Une liberté sous conditions
Plus de liberté, oui, mais qui s'accompagne aussi d'une responsabilisation accrue dans l'exercice de ses fonctions. Avec ce mode d’organisation, le salarié n’est plus tenu à une obligation de moyens, mais de résultat. "Chacun est libre de son temps et s’organise pour atteindre ses objectifs", affirme Déborah, la responsable RH de Alan. Chez Alan, on assure qu'il n'y a jamais eu de difficultés ou d'échec dans la mise en oeuvre des vacances illimitées. Une affirmation qui reste difficile à vérifier. On imagine aisément que cette organisation peut se révéler anxiogène si l’employé n’est pas capable de réaliser ses objectifs. "L’obligation de résultat ne me pose pas problème, parce que les objectifs sont trimestriels, atteignables et chiffrés. C’est gérable” commente Oscar, responsable grands comptes chez Indeed.
Côté employeur, le processus de recrutement en plusieurs étapes permet aux entreprises qui pratiquent les vacances illimitées, de se prémunir contre le risque "d’abus de vacances". Sélectifs, les recruteurs privilégient les profils en phase avec la culture de l’entreprise. "Tout au long du recrutement, on prête attention à la personnalité du candidat, à sa façon de travailler en groupe, d’intégrer un collectif", décrit la responsable RH de Alan. Si bien que “tous les employés croient en la mission d’Alan. Donc, personne ne s'autorise à prendre deux semaines de vacances par mois. On n’abuse pas de ce droit”, précise Déborah.
Une efficacité difficilement mesurable
Résultat, les vacances illimitées peuvent même présenter un atout économique. Indeed, chez qui "le turnover et le taux d’absentéisme sont très bas", a par exemple observé "que la productivité de ses 8.000 salariés (dont 57 en France) et de l’entreprise se maintient, et est même parfois meilleure" depuis la mise en place des congés sans limite. Cet avantage ne produit néanmoins pas la même efficacité, selon le niveau de bien-être du salarié. D'après Catherine Mieg, clinicienne du travail et auteure de J’ai mal au travail paru aux Éditions François Bourin, les vacances illimitées ne peuvent convenir aux salariés que s'ils travaillent dans des conditions qu’ils jugent optimales. La clé du succès reposant, selon elle sur le fait que "chaque employé soit formé pour le poste qu’il occupe, ait les ressources nécessaires pour fournir un travail de qualité, exerce une activité qui a du sens et soit reconnu par ses collègues".
Reste un risque majeur pour les entreprises qui recourent aux vacances illimitées: que leurs salariés ne prennent pas assez de congés. Ce qui en France est illégal. Pour être en règle, l’entreprise qui propose des "vacances illimitées" doit garantir plus que les fondamentaux du droit du travail (voir encadré ci-dessous). "Quant au droit à la déconnexion, rares sont les entreprises qui en tiennent vraiment compte. Aujourd’hui, c’est une fausse liberté" affirme Jean d’Aleman, associé au sein cabinet BRL Avocats.
Chez Alan, on affirme rester vigilant sur ce point. Si la personne est en vacances, on évite de la déranger: le droit à la déconnexion semble donc respecté. Ce que confirme Kevin, "quand je pars en vacances, je ne touche pas à mon portable, je vais jusqu’à désactiver Internet. Grâce à Slack (outil de messagerie interne) et un calendrier visible de tous, mes collègues savent que je ne suis pas là, donc ne me sollicitent pas”.
Au-delà des vacances illimitées, d’autres alternatives existent. Notamment, la semaine de quatre jours, plébiscitée par 60% des travailleurs français, d’après l’étude The Workforce View in Europe 2019, réalisée par ADP. Reste à convaincre l'écrasante majorité des employeurs à sauter le pas.
Vacances illimitées: ce que dit la loi Le concept de vacances illimitées n'est pas encadré à proprement parlé par la loi. L’entreprise qui offre des vacances illimitées doit assurer à ses salariés, le respect des fondamentaux du droit du travail, comme le repos hebdomadaire. Et pas moins de cinq semaines de congés payés, dont deux semaines de vacances consécutives pendant la période estivale (du 1er mai au 1er octobre). Si l’employeur n’oblige pas son salariés à se reposer, en cas d’accident grave, il peut être tenu responsable. Et si un salarié n’a pas profité du même nombre de jours de congés que ses collègues, il peut saisir le conseil de prud’hommes, pour rupture d’égalité. L’entreprise prend aussi le risque de ne pas atteindre ses objectifs, si l’un de ses salariés ou plusieurs d’entre eux multiplient les départs en vacances, sans remplir leur obligation de résultat.
Léa Taieb